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Textes d'auteurs (2008)
Éveil, Illumination...
Y a-t-il une pédagogie ?  (1 ière partie)
3e Millénaire, Hiver 2008, No 90

NB: De courts extraits d'articles de la revue, parfois légèrement adaptés.
La charrue, le boeuf et l'éveil
Hélène Naudy
- L'éveil serait cet instant de non-retour vers l'ignorance. De cette ignorance dans laquelle nous baignons sans en avoir conscience qui est notre identification à des images. Images au sens large tant elles touchent tout ce envers quoi nous nous identifions : images corporelles, énergétiques, spirituelles, rôles, concepts, jugements, points de vue, préjugés, états psychologiques. L'éveil répond de manière radicale et vivante à la question ; qui suis-je lorsque je ne suis plus identifié à des images ?
- Je focalise toute mon énergie pour savoir comment je vais arriver à l'éveil sans m'interroger sur cette focalisation et ce qu'elle sous-tend.
- Mais qui souhaite parvenir à l'éveil ? L'éveillé est la plupart du temps incompris par ses semblables, il perçoit ce que les autres ne perçoivent pas, il voit ce que les autres ne voient pas, il percute, il fait mal, il dérange, il est adulé puis rejeté, méprisé... Il n'est même pas dans des sentiments de supériorité ou d'infériorité. Quant au pouvoir, à la manipulation, ils l'ont abandonné. Il ne joue plus aux gentils et aux méchants. Il ne joue plus à la victime. Il ne prétend plus être quelqu'un. Il ne sait pas qui il est. La seule phrase affirmative qu'il répète est « Je suis » sans rien après, « seul le réel m'habite ».
- Ce que je vis, je dois le vivre puisque je le vis. Je n'ai pas d'autres choix. Alors, ai-je l'idée que je devrais vivre autre chose ?
- L'éveil... nous nous sommes attachés à ce mot... nous nous sommes identifiés à l'idée que nous en avions, nous ne sommes pas en relation avec nous-même mais en relation avec un concept. Nous ne sommes pas en train de ressentir ce qui se vit en nous, nous brandissons notre idée et nous demandons qui a raison.
- Que cherchons-nous ? Désirons-nous guérir, être mieux ? Désirons-nous être au-dessus de notre condition humaine ? Être sage ? Et si nous sommes dans le questionnement, il est bien évident que nous ne faisons pas partie de ces éveillés à qui l'éveil leur est tombé dessus sans savoir ce qui leur arrivait. Et si cette phrase nous incommode, irons-nous voir pour quelles raisons ?
- L'expression d'Untel conviendra à certains d'entre nous, mais elle ne fera pas l'unanimité parce que notre manière d'appréhender cette « non-voie », comme tout autre sujet qui nécessite une réflexion, nous appartient en propre. Parce que certains sont plus intellectuels, d'autres plus visuels, d'autres plus auditifs, d'autres plus enfantins, d'autres plus manuels et d'autres ont besoin d'écrire un livre pour éclairer leur propre entendement. C'est à nous de nous interroger sur ce qui nous convient le mieux. Cela, nous ne pouvons en faire l'économie.
- Tant que nous ne remettrons pas en question notre maître, celui-ci restera notre référent, notre père, celui qui détient l'autorité. Savoir que le feu brûle est une chose, mais avoir expérimenté soi-même la brûlure en est une autre. S'en remettre à l'autorité de l'autre a pour conséquence de s'en remettre à des concepts. Si nous désirons comprendre dans le vivant ce que signifie être soi, nous ne pouvons procéder autrement que de remettre en question les propos de notre enseignant afin de les vérifier par nous-même. Sinon nous serons dépendant d'un autre et de la compréhension de cet autre... Il ne s'agit pas de ne pas être dépendant, il s'agit de voir le mécanisme en nous-même qui crée cette dépendance.
- Pourtant, la présence des éveillés, le même silence, la même disponibilité intérieure, la même transparence, la même absence.
-
"L'espoir est là qu'un jour, grâce à je ne sais quel miracle, grâce à une aide providentielle, vous arriverez au but. Cet espoir vous permet de continuer, bien qu'en fait vous n'alliez nulle part. À un moment, vous allez comprendre que ce que vous pouvez faire ne mène à rien. Alors vous allez changer, essayer ceci, cela, quelque chose d'autre. Mais tentez une approche, voyez que rien n'en sort, et vous verrez que c'est vrai de toutes les autres... il faut voir cela très clairement, sans l'ombre d'un doute." Krisnamurti
- Si tu as le moindre désir... Aïe... Evite les rapports sexuels sinon... Aïe... Si tu ne pratiques pas la méditation contemplative... Aïe, aïe, aïe. Nous sommes pris dans un concours, nous sommes sur le départ d'un marathon, l'arrivée étant l'éveil.
- Le problème est que nous nous refusons tel que nous sommes maintenant, là, tout de suite. Nous voudrions être différent.
- Autant une pédagogie qui s'intéresserait à la connaissance de soi et à l'introspection me semble pertinente, autant celle de l'éveil m'interroge... L'éveil n'a pas besoin de moi, parce qu'il est hors volonté, parce que parler de pédagogie de l'éveil c'est encore avoir le désir d'y arriver. Par quel miracle atteindre l'éveil puisque celui-ci est hors mental, hors acquisition, hors compétence, hors-volonté ? La réponse est par aucun... Elle peut toutefois m'interroger sur mon impuissance, ma volonté, mon besoin de contrôler, sur mon tic d'espérer, d'avoir un but, d'être dans l'avoir.
   L'éveil.. INACCESSIBLE AU MENTAL.
- Sans parler même d'éveil, le réel est exigeant, limite proche de la folie. Qui désire perdre toutes ses références, tous ses repères, toutes ses idées reçues ? L'éveil ? Soit il nous tombe dessus... Saisir ce que nous sommes nécessite d'être amoureux du réel. Être soi nécessite d'apprendre à s'écouter sincèrement. ÊTRE UN ESPRIT CONTEMPLATIF.
- L'éveil survient à celui qui n'attend plus rien, à celui qui est installé dans la disponibilité et/ou qui est frappé de désespoir et d'abandon.
  Désespoir ? Les situations de la vie l'ont profondément atteint et interrogé, il a saisi ce que signifie le verve "désapprendre", il a appris à observer, à regarder, à ressentir sans implication personnelle, il n'a plus d'idées.
  Abandon ? Non pas aux autres, mais abandon de ses points de vue, jugements, rôles, états psychologiques et autres, abandon aussi de ses désirs. Abandon ne veut pas dire qu'il n'y a pas de désir, le désir est constaté et s'il doit être vécu il le sera. Abandon ne veut pas dire non plus qu'il n'y a plus d'états psychologiques, ceux-ci sont vus et vécus s'ils doivent l'être. Il n'y a rien qui empêche qu'ils se manifestent à la conscience. Cela ne veut pas dire non plus qu'il n'y ait pas d'actions, celles-ci sont impulsées par l'écoute, le bon sens, le devoir.
 - Il y a dépression, mais celle-ci est pleinement vécue, dépression dans le sens où l'on reste en soi-même, au fond de soi, dans le lieu de la désillusion et de l'observation neutre de point de vue. Être un esprit contemplatif.
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"Jusqu'où et jusqu'à quand allons nous fuir ? Et à quoi pouvons-nous réellement échapper ?" Éric Barret
- Voir lorsqu'il y a espoirs, désirs, concepts et préjugés. Voir lorsqu'on juge nos espoirs, nos désirs... Voir.. Constater. Oui, cela est si simple à écrire et à comprendre et pourtant si difficile pour notre mental... Voir, constater ne sont pas un but, cela doit être un appel, une passion disponible.
- Que pouvons-nous faire ou penser d'autre que ce que nous sommes en train de faire ou penser ? Qui allons-nous écouter ? L'autre ou ce que nous dicte notre entendement ? Pouvons-nous forcer la compréhension ?
-
"Quand on ne cherche plus à éviter la souffrance, la violence, l'injustice, il y a autre chose qui se passe : quelque chose s'ouvre. Il y a la beauté qui apparaît, la tranquillité. Mais il faut d'abord quitter l'image que les choses devraient être autrement, qu'il y a quoi que ce soit à changer - c'est cela la violence - quoi que ce soit dont il faille se libérer, même se libérer de l'image." Éric Barret
- Ce dont je me rends compte, c'est que sans mon entendement, sans mon intelligence, sans ma remise en question, je vais à coup sûr rester dans l'ignorance et l'illusion de croire savoir qui je suis et de prétendre à une certaine connaissance. Je vais m'enfermer dans des concepts.
  Alors je parts sans plus tarder en moi-même, parce que le réel m'interpelle et m'anime, et vais m'interrogeant lorsque la vie me projette dans ce que mon mental nomme un inconfort... inconfort pour mon mental qui espère être heureux définitivement... Je m'interroge, je regarde ce qui réagit en moi lorsque l'autre me critique, lorsque j'ai échoué, lorsque mon ami vient de me trahir, lorsque je ne suis pas comprise. Je regarde à la loupe et je vois cette psychologie qui me caractérise... Je prends note de chaque trouble, dépression, bonheur... Du bonheur qui endort parce que le mental a son compte. Je vois combien je suis dépendante de mon mental, de mes émotions. Je vois mon mental qui juge cette dépendance et cherche à l'éliminer et s'inscrit à tous les stages de développement personnel. Je vois ce jugement et cette volonté sans vouloir les modifier. Tiens, je vois. Tiens, je savoure d'être dans la vision.
  Je vois que je suis touchée et je savoure d'être dans la perception. Je ressens la caresse de mon bien-aimé et je savoure cette perception.
  Je vois mes idéaux : la paix sur terre, mieux communiquer, être des parents responsables, manger équilibré, être mince, avoir des amis, et je savoure cette vision.
  Tiens, je suis un esprit contemplatif.
  Le monde continue de tourner, mes émotions d'émerger, mes croyances de tomber, je suis un esprit contemplatif. 

- « Donnez tout votre coeur et toute votre intelligence à ce qui se présente d'instant en instant. » Jean Klein
Soyez atentif
Virgil
- La notion d'éveil... Le cerveau veut trouver une explication, une cause, et il va la trouver ! Les intellectuels veulent une définition. Il faut que ce soit connu, alors qu'il s'agit d'expliquer quelque chose d'inconnu... Si vous mangez un fruit exotique rare... vous dites que son goût ressemble un peu à ceci, à cela... Vous devez donner quelque chose que le cerveau connaît ! .. Le cerveau va inventer, pour se satisfaire, pour dissiper le mystère, pour se calmer l'esprit. L'éveil, ça n'existe pas comme quelque chose où, tout à coup, on se dirait : «  tiens, maintenant, j'y suis ». Ça ne se peut pas... L'éveil, c'est tout ce que je vis. Simplement, je le vis différemment. C'est la vie.
- Nous avons le même cerveau que l'homme des cavernes. Rien n'a changé à ce niveau-là. Le cerveau doit croire. Et de plus, la croyance a des effets qui se manifestent, dans le corps et ailleurs. C'est catastrophique ! Oui, la pensée peut nous rendre certains d'être éveillé, quand nous ne le sommes pas. Or, l'éveil est une clarté-lucidité. Il n'y a rien auquel vous vous identifiez, et certainement pas l'idée d'éveil. Simplement, vous fonctionnez, naturellement. Comme le temps, les saisons. Vous vivez. Il n'y a pas d'explication, mais c'est clair. Or, tant que le cerveau reste identique à ce qu'il est, il va inventer pour croire et pour se plaire. Certains croiront en Dieu, et alors peut-être iront-ils « mieux », mais leur niveau restera celui du cerveau primitif.
- L'éveil ne se transmet pas.. il n'y a pas de méthode. Nous pouvons rencontrer quelqu'un qui a une énergie que l'on sent, c'est-à-dire qui produit des effets dans le corps. Et alors ? L'ego est content, il a trouvé quelque chose !
- Essayez de vous connaître vous-même. Soyez attentif. Nous fonctionnons dans l'aveuglement. Nous marchons par discipline, par système... Y aurait-il un système si nous vivions dans la paix, une discipline à s'imposer, à suivre ? Si un tel système existait, il serait en harmonie avec la nature, avec la vie.
- Mais le cerveau argumente tout le temps... La vie, quant à elle, est simple. Il n'y a pas de lutte. Pas de complications. Bien sûr, on regarde la nature, on voit des branches cassées, des animaux qui souffrent, mais c'est la nature. Il n'y a pas de problème. Tout se fait naturellement. C'est le cerveau qui fait des problèmes, car nous sommes en dehors de la vérité.
- La solution, c'est vous-même, et vous devez vous trouvez vous-même. Observez-vous. Observez comment ça marche, sans chercher. Ne pas mettre de frontières. Vous verrez comment vous créez en vous-même des divisions. Vous verrez aussi que vous fonctionnez comme tout le monde, et que tout le monde fonctionne de la même façon. Tout est caricatural, et nous sommes tous piégés. Par exemple, nous voulons être tolérants, nous ne voulons pas offenser notre femme... Ce n'est pas possible. Il y a toujours une frontière, et au-delà le cerveau ne peut plus accepter.
- S'observer... Ce n'est pas une observation voulue, consciente ! C'est une clarté, une liberté. Il n'y a pas d'obstacle, pas de division. Votre façon de vivre est claire. Quand on vient dans la paix, on voit le désordre.
- Depuis des millénaires nous fonctionnons comme cela. Nous ne pouvons pas savoir qu'il y a une paix en nous. Or, cette paix, c'est la vie. Pourrait-on changer ce conditionnement par une méthode ? Non. À ce niveau, nous sommes des machines, et trouver la paix est impossible.
- Soyez attentif. Qui sent cela, ce que vous sentez dans le corps ?
  Quand je marche, je suis celui-là qui marche. Quand je parle, je suis celui-là qui parle. Mais je ne sais pas d'où il vient, celui-là. C'est tout le corps qui marche, qui parle, qui s'exprime, comme si les milliards de cellules en nous avaient un cerveau, une conscience. Toutes sont là, avec leur conscience, et toutes participent. Alors, quand vous dites que vous sentez, qui sent ? Qui ? Vous vous divisez déjà. Soyez attentif. Dès que vous vous identifiez à quelque chose, un mécanisme, il y a division. Mais quand vous vivez, il n'y a plus d'observateur. Ça fonctionne simplement. Mais voilà, comment le cerveau peut-il comprendre ? Pour lui, il faut se sentir, ou bien identifier les choses que l'on pense. Mais si nous ne sommes pas dans la paix, le cerveau ne voit pas cela... À ce niveau de cerveau, il n'y a pas de changement possible. Dire à un autre qu'il doit être autrement, c'est du rêve. Il ne peut pas. Est-ce intellectuellement que l'on peut faire changer quelque chose ou l'autre ? Soyez attentif !
  L'observateur peut être au début une sensation de soi. Mais ça va se développer, progresser, et il y a un changement qui ne s'apercevra plus. Puis on vit. Quand vous marchez dans la rue... ne pas s'absorber dans ses pensées... Regardez droit, ou ailleurs, comme un panorama, sans juger... Ne soyez pas rigide dans votre façon de faire... Regardez comme vous fonctionnez... Si nous nous mettons à penser, nous nous absorbons et nous rentrons dans les ténèbres. Le cerveau bloque l'énergie avec toutes ses histoires, et l'énergie ne circule plus. C'est comme cela que nous nous affaiblissons, puis que les maladies viennent. Mais comment blâmer l'être humain d'être ce qu'il est ? Simplement, c'est tragi-comique. Mais c'est comme cela que nous fonctionnons.
  Celui qui constate qu'il sent quelque chose se divise. Nous jouons avec les images. Nous croyons chercher la solution, mais en fait nous jouons avec des images. Si nous ne savons pas dans quelle direction nous diriger, nous consultons nos images, et nous essayons de prendre la plus sûre, par rapport à ce que nous connaissons, ce que nous avons lu, ou ce que l'on nous a dit. Tiens, ce qu'il dit me plaît, alors je garde ces images. Mais rien ne vient de vous ! Rien de vrai dans tout ça ! Alors nous choisissons une voie, et au bout d'une année ou deux, nous commençons à regretter, et nous voulons changer. Mais à nouveau nous allons consulter nos images, qui sont des non-vérités. Il n'y a pas de différence avec la télévision, la tête est remplie d'images. Bien sûr si nous avons besoin de ces images pour notre métier, pour gagner sa vie, alors oui. Mais en-dehors de ça, non ! Le quotidien ne se vit pas à partir de la mémoire. Mais les gens vivent avec des images... C'est la confusion.
- Quand on cherche, que l'on ne veut pas de sa vie, que l'on veut changer, en fait on cherche du nouveau, mais on tombe toujours sur du connu. L'inconnu, on ne le connaît pas puisqu'on ne le vit pas. Nous voyons le changement comme quelque chose de mieux, où il y a plus de paix, où je serai bien. Ça n'existe pas !! Quelque chose où ce que l'on vit va s'annuler, disparaître, où il ne restera que du positif, ça n'existe pas. C'est pourquoi je dis qu'il n'y a pas de méthode car la vie, ce n'est pas la mémoire. Ce n'est pas chercher toujours quelque chose de nouveau que fera venir la paix... il n'y a pas de mystère, on marche, on vit, on meurt. Le cerveau vit comme au temps des hommes des cavernes. Les mêmes colères, les mêmes appétits. Tout pareil. Maintenant, on nous dit que nous sommes une civilisation avancée. Oui. Nous sommes avancés de l'extérieur, nous sommes devenus plus malins, avec plus d'astuces pour tromper les autres. Mais le cerveau, lui n'a pas avancé.
- L'éveil, c'est la vie. La vie, c'est la paix, la simplicité. Quand on vit, il n'y a plus d'identification. Tout est naturel. Quand on vit naturellement, on vit. On est nature. Il n'est pas possible de manipuler la nature, la forcer, comme les scientifiques essaient de le faire aujourd'hui... La nature est intelligente, forte. Mais ce n'est pas une intelligence d'accumulation. C'est une intelligence vraie, naturelle. C'est la vie. L'éveil, c'est la vie.
L'éveil spirituel
Thierry Vissac
- Après avoir connu des saints, des sages et des illuminés, nous avons, depuis quelques temps, affaire à des éveillés. L'éveil spirituel est une notion qui désigne quelque chose de précieux mais qui a perdu un peu de son sens.
- L'éveil spirituel est l'émergence de la conscience hors du monde fantasmagorique des illusions.
         Quelles sont les illusions ?
  La première illusion, qui fonde toutes les autres, est la croyance que la vie s'organise par notre intelligence personnelle (contrôle, maîtrise, projections sur l'avenir). Cette illusion indique que l'on a perdu de vue l'Intelligence de la Vie qui organise toute chose à tout moment.
  La seconde illusion, qui découle de la précédente, est la croyance que nous sommes une personne isolée, face aux autres ou contre les autres, séparée de tous et en danger permanent (d'où nécessité de se protéger continuellement). Une telle perception est cause de guerre, de conflit, de violence et conduit à l'impossibilité d'être réellement en relation avec qui ou quoi que ce soit.
  Une troisième illusion... se trouve dans le fait d'investir notre énergie exclusivement dans le transitoire comme si les choses étaient éternelles (famille, profession, propriétés). Cette illusion amène à la révolte et la souffrance chaque fois que nos projets s'effondrent.
  Une autre illusion est de croire qu'il existe un ou des autres capables de nous apporter le bonheur (cette illusion a créé le mythe de l'âme-soeur) ou, au contraire, responsables de notre malheur. Beaucoup de larmes sont versées à partir de cette croyance parce que cette quête vers l'extérieur est sans fin et toujours vaine.
  Enfin, la dernière illusion... conduit à croire en l'autorité et en la suprématie de la pensée, de l'intellect et donc du jugement. Son corollaire consiste à se fixer des objectifs à partir de fantasmes, un des plus courants étant celui qui promet d'atteindre un état de béatitude permanente et, bien entendu, de se désespérer de ne jamais y parvenir.
         Que produit l'éveil spirituel ?
  L'éveil spirituel, par la dissolution des croyances et illusions évoquées ci-dessus, révèle notre unité intrinsèque avec les mouvements de la vie (contre lesquels nous luttions en permanence), notre lien avec nos congénères (voilé par le sentiment de séparation), l'éternité de l'existence (au-delà des projets et objets de l'univers personnel). Dans cet éveil, nous réalisons que nos illusions étaient la cause de toutes nos souffrances. Mais nous voyons surtout émerger la joie et la paix qui naissent de l'accueil de ce qui est et l'ouverture du coeur qui en résulte relâche spontanément l'emprise du mental, l'étau de la certitude intellectuelle et tous les cadres étroits que nous avions pris pour notre vie.
         Et maintenant ?
  Il est peu probable que ces mots produisent spontanément un quelconque éveil. Le mental y trouvera peut-être des confirmations intellectuelles ou encore des occasions de discuter mais pour que l'éveil soit une réalité vivante, il faut, un jour, faire le pas hors du cadre des conceptions.
  Pour cela, l'Intelligence de la Vie glisse parfois malicieusement quelques peaux de bananes sous nos pieds (que nous prenons pour des obstacles se dressant dans notre course effrénée vers nulle part), elle provoque des surprises dans le continuum de nos projets personnels (que nous prenons pour des entraves à notre besoin de contrôle), elle nous met en présence de rappels de notre vraie nature ( que nous accueillons tragiquement comme un sentiment de perte, alors que seule l'illusion peut être perdue), et nous invite (parfois sans ménagement) à revenir à ce qui est, à nous réveiller du mirage de ce que l'on voudrait qui soit et à redevenir participants et serviteurs d'un processus immense et magistral que s'appelle la Vie.
L'éveil de la conscience chez G.I. Gurdjieff
3º Millénaire et Ouspensky
1º S'éveiller, mourir et naître
  L'éveil est le stade préalable à la seconde naissance, elle-même étant l'aboutissement de la mort de l'ego ou du vieil homme... L'éveil conduit à la mort de l'ego, de ses peurs, de ses illusions, de sa vanité...
2º Réaliser sa propre nullité
  L'observation de soi repose sur des constatations qui indiquent des évidences fortes : « je ne suis pas dans ce que je fais », « je fais attention à rien », « je rêve ma vie et il me manque l'essentiel », « je n'ai pas la force de changer », « je dors et tout me tombe dessus », « je me fais souffrir et n'arrive pas à faire autrement »... À cette étape décisive, toute la tentative de l'éveil est alors concentrée sur le fait de vouloir en sortir. C'est du moins ce que nous espérons... un espoir vague dans la mesure où la force qui semblerait nécessaire au réveil de la conscience nous fait défaut...
  Un homme a vu en lui-même quelque chose qui l'horrifie. Il décide de s'en débarrasser, de s'en purger, d'en finir. Quelques efforts qu'il fasse cependant, il sent qu'il ne le peut pas, que tout demeure comme auparavant. C'est là qu'il verra son impuissance, sa misère et sa nullité. Et en sentant sa nullité, un homme se verra tel qu'il est en réalité... il ne l'oubliera jamais.
  S'éveiller signifie réaliser sa propre nullité, c'est-à-dire réaliser sa propre mécanicité, complète et absolue, et sa propre impuissance, non moins complète, non moins absolue.
  L'approche est abrupte. Il ne s'agit pas de se raconter de belles histoires soporifiques sur l'éveil et ses moyens ou ses non-moyens, sur sa voie ou sa non-voie. Il s'agit de voir ce qui est : c'est ma mécanicité totale, mon impuissance à changer, à m'éveiller, à en sortir, bref, ma nullité !
  Voir sa propre nullité devient la découverte directe de la vacuité... Voir sa propre impuissance devient la découverte directe du non-agir... Voir sa propre mécanicité totale et absolue induit directement le lâcher-prise...
  Lorsque les dernières illusions s'effritent (son individualité, sa volonté, sa conscience, sa capacité de faire, ses pouvoirs, son initiative, ses qualités de décision...), nous arrivons au coeur de l'existence humaine mise à nue. Là, un insurmontable problème se dresse parce que nous ne savons pas observer notre mécanicité dans sa globalité. Lorsque nous observons, nous ne voyons pas celui qui observe ; notre attention est prise par la vision de l'émotion observée, de l'agitation ou de la tension musculaire constatée... Et nous croyons, de bonne foi, observer objectivement. Il s'agit seulement de l'observation d'un moi par un autre moi, dans l'illusion que celui qui observe est Moi, cette véritable unité de l'être. La vérité, c'est que l'homme est une pluralité, partagé par une multitude de petits moi... et nous ne le voyons pas. Il convient alors d'apprendre à observer, c'est-à-dire à se rappeler soi-même.
3º Le rappel à soi
  Le rappel de soi, c'est l'observation globale : l'observation de l'impression reçue et aussi de celui qui perçoit ; de cette seconde impression (voir celui qui perçoit) résulte le choc additionnel nécessaire à la production des substances fines dont l'être a besoin pour croître.
  Ex: Si je me rappelle à moi-même, je ne regarde pas simplement la rue, je sens que je la regarde... J'ai deux impressions : l'une de la rue, et l'autre de moi-même regardant la rue... Il s'agit d'observer tout ce qui se passe dans la rue autant que dans nos boulevards, alliées, avenues et impasses intérieures.
  L'observation de l'impression reçue (1er choc) nécessite une certaine sorte d'effort, fait au moment où l'on reçoit une impression. L'observation de celui qui perçoit (second choc) consiste en un travail sur les émotions, en une transformation et une mutation des émotions.
  Lorsque nous observons notre agitation en attendant le train ou à la caisse d'un grand magasin, nous ne voyons pas le moi-observateur que refuse l'agitation et qui tente de se contenir, de se détendre... Car même si une détente, toute relative soit-elle, s'est produite avec une certaine satisfaction du moi, une angoisse demeure dans les limbes de la psyché...
  La certaine sorte d'effort qu'il convient de faire au moment où l'on reçoit une impression, est de voir que nous refusons ce que nous observons, et donc de voir le juge-observateur qui s'ignore, constitué de "tampons" faits pour amortir les chocs. Or les chocs et eux seuls peuvent tirer l'homme de l'état dans lequel il vit, c'est-à-dire l'éveiller. Pris dans les rets des tampons, je n'accepte pas ce que je vois. Je n'accepte pas de voir que je m'ennuie seul à la maison, et les pensées tournent à vide... je dors ! Je sors pour aller voir ailleurs, ça ne me voit pas fuir mon propre état... je dors ! Je n'accepte pas de voir que je m'ennuie au travail, ça rêve aux vacances... je dors ! Je n'accepte pas de voir que mes proches me dérangent... ça rumine, ça grogne... je dors !
  Ça n'accepte pas la mécanicité à l'état brut, au quotidien, et c'est pour cela que ça rêve d'illumination, de vacuité, d'éveil de la conscience, de mieux-être... Voir ce fait sous toutes ses formes procède du choc conscient dans la mesure où nous voyons réellement... Et à ce moment-là, la vie intérieure change radicalement, car en s'observant, un homme projette, en quelque sorte, un rayon de lumière sur ses processus intérieurs, qui s'étaient effectués jusqu'ici dans une obscurité complète... Même une faible lueur de conscience suffit à changer complètement le caractère des processus habituels et à rendre un grand nombre d'entre eux tout à fait impossibles.
  Toutefois, observer réellement devient possible dans la vision de notre propre nullité : dans la vision que nous n'avons aucun "Moi" unique et permanent, aucune conscience, aucune volonté, aucune capacité de faire, aucun état de liberté intérieure ; dans la vision que nous ne savons plus quoi faire pour travailler sur nous-même. Car, pour un homme, se rendre compte qu'il n'a pas de but et qu'il ne va nulle part est le signe qu'il approche d'un éveil ; c'est le signe que l'éveil devient réellement possible pour lui. L'éveil d'un homme commence en cet instant où il se rend compte qu'il ne va nulle part et qu'il ne sait pas où aller.
L'éveil de l'intelligence chez Krishnamurti
3º Millénaire

1º Un enseignement de l'éveil
  C'est par nous-même que nous devons apprendre, en nous observant, car apprendre diffère entièrement d'accumuler du savoir. De plus, si vous observez votre pensée, votre vulgarité, votre sensibilité, alors vous devenez à la fois l'enseignant et l'enseigné.
  Il faut voir que nous abordons la vie et ses problèmes dans le cadre de nos conditionnements, par une compréhension intellectuelle analytique, ou introspective. L'intellect n'a pas un caractère total ; c'est un fragment de notre vie. Cependant ce fragment prend une énorme importance.
  Apprendre, observer, s'éveiller procède d'un esprit intensément attentif qui ne connaît aucune fragmentation de l'énergie. Observer, c'est regarder sans choix ce qui est : la souffrance corporelle qui accompagne l'angoisse, la tristesse de l'échec qui alourdit la poitrine, autant que la pluie fine qui est en train de tomber ou le rayon de soleil qui soudain métamorphose un ciel brumeux, autant que l'odeur de cette pièce, que le bois du bureau, les couleurs du tapis, la texture de ta chemise... C'est-à-dire tout ce qui est, car observer c'est ni "se focaliser ou se concentrer sur" ni "être attentif à". L'éveil sans choix implique d'être éveillé objectivement à l'extérieur comme à l'intérieur, sans aucun choix.
  En apprenant à nous observer, nous découvrons que l'introspection et la lucidité sont entièrement différentes. L'introspection mène à la frustration, à des conflits, car en elle est impliqué un désir de changement, et un changement n'est qu'une continuité modifiée, tandis que la lucidité est un état dans lequel il n'y a ni condamnation, ni justification, ni identification, donc il y a compréhension...
2º L'éveil au-delà de la division
  Nous constatons l'incapacité de nous connaître réellement par l'intellect... Pour rester éveillé, il nous faut avoir cette profonde compréhension de la pensée, de la peur, de l'amour, de la haine, de la solitude ; il nous être totalement engagés dans cette façon de vivre tels que nous sommes...
  Il est vain d'imaginer ce qu'est l'état d'éveil, ce que nous sommes tous enclin à faire, car dans ce domaine de conjectures nous perdons l'essentiel : la vision que nous dormons !
  L'état d'inattention qui caractérise notre existence se déroule dans l'illusion que nous sommes le libre observateur de notre vie, le libre penseur de nos pensées, alors qu'en fait notre regard, notre pensée, sont conditionnés par l'ensemble de nos expériences heureuses et malheureuses. L'observateur est constitué de mémoires. C'est dans cet état d'esprit, qui est dans le champ du temps, que nous regardons la peur, la jalousie, la guerre... Ainsi, lorsque j'observe la colère, l'envie, la crainte, comme des états d'âme en moi, voir hors de moi, comme des choses observables vers lesquelles mon attention peut ou non se porter, j'entretiens la sempiternelle division entre l'observateur et l'observé. Mais lorsque l'observateur se rend compte que ce sur quoi il agissait n'était autre que lui-même, tout conflit cesse entre lui et ses images... Que peut-on faire au sujet d'une chose qui est soi-même ? On ne peut ni se révolter contre elle, ni la fuir, ni même l'accepter. Alors toute action qui provient des réactions du plaire et de déplaire parvient à sa fin, et on découvre une lucidité extrêmement vivante.
3º Pédagogie de l'éveil
  La pensée peut-elle être consciente de son propre mouvement ? Toute la question est là. Tout le problème est là. La pensée peut-elle comprendre sa propre structure ? Mais est-ce la pensée qui est consciente d'elle-même, ou est-ce autre chose ? Si vous essayez tout de suite d'en être conscient, elle semble s'arrêter, s'interrompre... mais en fait elle subit un changement radical. Le ce qui est maintenant,
(la pensée pour l'instant) change radicalement. Il n'y a plus d'observateur regardant la colère, l'aversion, l'envie, la peur... comme dans la démarche introspective, car lorsqu'il y a vision pénétrante, l'esprit est dans un état de vacuité totale. Ce vide n'est pas un état de vacuité, une absence, c'est l'énergie qui n'a pas de centre, de frontière. Autrement dit, quand l'esprit avec toute la confusion qui l'habite, n'est plus que néant, nulle chose, peut-être alors y a-t-il cette autre chose. Cette autre chose survient telle une vague porteuse de force et de pureté ; un parfum, un souffle d'immensité.  

L'éveil du Penser chez Ridolf Steiner
3º Millénaire
- En nous, ça "pense", ça tourne, ça associe des mots, de vagues images, des souvenirs flous ou chargés d'émotivité, sans que soit présent l'acte conscient de penser.
- Dans la plupart des cas, ce qu'on appelle penser s'écoule en mots ; on pense en mots... un mode de pensée limitée au cerveau... Aussi longtemps qu'on pense seulement avec le cerveau, on ne peut rien penser de spirituel...
- Lorsque nous pensons, lorsque ça pense en nous, nous n'observons pas le processus de penser en lui-même, dans la mesure où nous sommes captivé et entraîné vers le ou les objets de la pensée. Cette identification aux objets de la pensée est d'ailleurs extrêmement trompeuse car de cette manière nous n'appréhendons réellement aucun objet, notre attention étant sans cesse absorbée par des pensées résiduelles...
- L'observation du penser est une sorte d'état d'exception... C'est le moi lui-même qui se trouvant à l'intérieur, dans le penser, observe son activité.
- Cette observation du penser réclame une lucidité sans faille à l'égard des pensées inobservées sans cesse émergentes. Une tranquille vigilance non orientée - c'est-à-dire non identifiée à des objets pensés - s'éveille hors du temps. Effort très spécial que celui de la conscience consciente d'elle-même, que celui où la vie intérieure au penser s'éveille en tant qu'acte pur, antérieur
à toute pensée. Non-effort. En réalité, au point originel, ou état primordial, dans lequel nous pouvons découvrir un rapport intime entre notre être propre et l'univers.
- Si l'on fait vraiment l'expérience du penser, on ne peut faire autrement que de se sentir à l'intérieur de mystère de l'univers et du divin. Si l'on saisit le penser en soi, on saisit le divin en soi.
L'éveil du Penser dans la philosophie contemporaine
3º Millénaire
- Comme le montre Fichte, habituellement nous croyons que philosopher n'est qu'une démarche de l'intelligence et n'apporte qu'un désir de savoir et de curiosité . Nous croyons qu'elle procède de l'imagination et nous sommes alors absorbés tout entier par l'extérieur, par des mots harmonieux. Nous croyons aussi que sa pratique est celle du scepticisme, que l'on revêt encore de quelques titres pompeux, mais qui n'est qu'un simple manque d'amour. Ou bien nous entretenons l'opinion vraiment brutale que la vérité n'est pas un bien et qu'il n'importe pas de la connaître.
- La philosophie n'est pas une procédure habituelle de penser, ne découle pas d'association de pensées ; elle est vision immédiate. ... se voir penser, voir cette "tension artificielle de l'esprit" qui maintient l'esprit en sommeil.
- Je peux amener l'essence de la connaissance à la clarté que si je la regarde elle-même et si, dans cette vue, elle m'est donnée elle-même telle qu'elle est. Je dois l'étudier de façon immédiate et purement intuitive, dans le phénomène pur, dans la conscience pure.
- Notre manière habituelle de penser, notre attitude naturelle s'évertue à former des représentations et, au mieux, à les enchaîner. Cette manière de faire demeure pourtant insatisfaisante pour quiconque trouve en lui une certaine exigence de l'esprit. Ce mode ordinaire de penser n'est en effet aucunement relié à l'être, c'est-à-dire à notre totalité, et par conséquent nous abandonne continuellement à une insatisfaction semi-consciente... il faut un renversement total de l'attitude naturelle, une certaine suspension du jugement... une mise hors de jeu, hors circuit... Nous puisons la force nécessaire à cet exercice dans l'aptitude que nous avons à douter.
- Je me tiens au-dessus du monde, qui désormais est devenu pour moi, un phénomène.
- Nous croyons penser lorsque des mots et des images s'écoulent et s'associent entre eux. Mais cela n'est aucunement Penser, c'est être emporté par le flot commun et non s'éveiller à l'intuition des essences. L'intuition des essences est un acte donateur originaire et à ce titre elle est l'analogue de la perception sensible et non de la fiction. Cette perception suprasensible, qu'est l'acte de Penser, s'opère lorsque je vois que je ne pense pas et par conséquent lorsque je suis prêt à apprendre la pensée... Aussitôt que nous nous engageons dans cet apprentissage, nous avons déjà avoué que nous ne sommes pas encore en pouvoir de penser. C'est la pierre de touche de l'éveil du Penser.
La forme est vide
Albert Low
- Tout d'abord, il n'y a pas d'éveil. Et en même temps il est nécessaire de s'éveiller, de se réaliser ! L'éveil, c'est maintenant. Je parle, vous me voyez, et c'est déjà l'éveil. Mais voilà, nous avons l'impression qu'il faut quelque chose de plus, qui soit au-delà de nous. C'est cette illusion qu'il s'agit de pénétrer réellement. C'est pourquoi il faut s'éveiller... Et peu importe si on s'éveille ou non. Il n'y a pas de prix à gagner. Rien qui puisse être atteint tel que soudain nous devenions une personne surnaturelle.
- L'impression d'être quelque chose dans le monde a pour conséquence que je suis habité par la croyance en l'existence de quelque chose de complet en dehors, au-delà de ce que je suis... Cette sensation d'être quelqu'un me sépare du monde. Il y a moi, et il y a le monde. Moi et les autres, moi et Dieu. Je suis complet, mais je crois ne pas l'être, et cela me pousse à chercher la totalité. Être total, selon mon point de vue erroné, me permettra de résoudre tous les problèmes de la vie.
  La plupart des gens ont un aperçu de la totalité, de la non-séparation, de l'éveil... On ne peut pas dire exactement ce qui s'est passé, mais soudain la réalité s'est dévoilée. Ce n'est pas le terminus. La sensation de séparation, d'être une personne unique dans le monde, ne peut pas être coupée d'un seul coup. Un long travail est nécessaire pour dissoudre cette sensation.
- On dit que cette personne est éveillée, et dans notre esprit, cette personne devrait être parfaite. Ce n'est pas comme cela que les choses se passent ! Malheureusement, beaucoup de gens ont eu cet aperçu, et cherchent à donner l'impression qu'ils sont parfaits. De plus, tout le monde projette sur ces personnes l'idée qu'elles seraient spéciales.
- Le travail principal est de faire face à l'humiliation. C'est la souffrance à laquelle il est absolument nécessaire de faire face... Faire face à l'humiliation pour abaisser cette illusion d'être unique. (Bien que ce soit réel que je sois unique, le problème est de vouloir l'exprimer dans la forme. De là naît le nationalisme, l'identification à une nation, une équipe, etc) C'est comme si j'étais assis sur un trône, et soudain quelqu'un fait une réflexion que me fait voir que, en fait je ne suis pas sur un trône. C'est une chose terrible pour l'ego... Je ne dis pas de chercher l'humiliation, car ce serait du masochisme. Si on est patient, le monde nous fournira de nombreuses occasions de nous sentir humiliés. Chez beaucoup, l'humiliation engendre la colère. Celle-ci est une façon de s'établir à nouveau dans notre posture d'être unique, d'être le centre du monde.
- Face à l'humiliation, Jésus disait de tendre l'autre joue. La plupart d'entre nous en sommes incapables. Mais c'est là le vrai travail. Il y a en nous, profondément, une contraction qui crée notre souffrance. Nous créons cette idée d'être unique pour résoudre cette contradiction. Cette sensation d'être unique est un point stable. Quand ce point stable ne peut pas se maintenir, la blessure apparaît... Si l'on ne traverse pas la souffrance, le vrai éveil ne s'incarne pas.
- L'éveil, par ailleurs, n'est pas quelque chose qui arrive nécessairement aux pratiquants de la voie zen, ou de tout autre voie. Il peut se produire de façon spontanée... le plus souvent suite à la mort ou la disparition de ce à quoi on s'identifiait. Mais, ce type d'éveil peut être récupéré par le mental pour maintenir le sentiment d'être unique. C'est ainsi. Pour la plupart, il n'y a donc pas de changement radical. Le changement est là pendant plusieurs mois, mais il ne se maintient pas.
  L'éveil n'est pas une expérience. C'est un changement de qualité. La vie n'est plus vécue en terme de séparation, moi et les autres, moi et le monde. Ce n'est pas non plus qu'il y ait unité. Il n'y a en fait rien à dire... L'éveil n'est pas le plus important. Ce qui importe c'est la lutte avec ce sentiment d'être quelqu'un d'unique dans le monde. Car les guerres, le terrorisme, les révolutions, la souffrance que l'on s'inflige à soi-même et aux autres, naissent de ce sentiment. L'être humain est empoisonné par ce sentiment. Ce poison est le réel problème, et il est difficile de lutter avec ce poison sans éveil. Difficile, mais pas impossible.
- Nous, les occidentaux sommes constamment dans une situation d'anxiété, de fragilité, d'humiliation, de culpabilité. Tout cela est là. Une personne peut donc utiliser les problèmes de la vie, qui sont là maintenant, pour travailler sur elle-même. La fondation de toute cette souffrance est l'humiliation ou la culpabilité, et j'invite toujours à faire face à ce qu'il y a, en ce moment... La pratique se fait avec tous nos bagages. Faire face à ce qui est réel : la confusion, les déceptions, l'insatisfaction, toute cette humiliation.
- Il faut faire zazen. Quand nous commençons à faire face, nous devenons très agités. Et si nous ne sommes pas bien enracinés, nous allons nous sentir très mal à l'aise, et fuir. C'est comme saisir un chat par la queue. Celui-ci se débat, cherche à s'enfuir, mais nous le tenons ferme. L'assise immobile en zazen est cela. Zazen, c'est faire face à nous-mêmes. Au début, la concentration est nécessaire pour l'enracinement, et que l'énergie circule... Puis vient la respiration. Quand on suit la respiration, ce n'est plus de la concentration, ça devient de la contemplation. C'est une expression pratique de la prière de Jésus: « Que ta volonté soit faite»... C'est ce qui est au-delà de moi qui respire.
- Quand on s'assit en zazen, la contradiction intérieure devient plus évidente. Une tension et une souffrance arrivent. Les pensées sont une façon d'essayer de dissiper cette souffrance. C'est pourquoi il est nécessaire de laisser tomber les pensées, puis de passer à travers cette souffrance intérieure. La souffrance par laquelle il faut passer pour s'éveiller est très intense. Les religions parlent de mourir pour renaître. Cette mort ne peut pas se faire en regardant la télévision. Je le redis, le vrai travail porte sur la sensation de soi, celle d'être unique dans le monde.
- La pratique est là pour couper toute identification. Bien sûr, nous ne devenons pas vides. Nous vivons dans un corps et nous le sentons, mais la pratique vient couper la croyance d'être quelque chose de spécial.
- Beaucoup de gens croient qu'avec la pratique, on ne fait que monter, que l'empathie avec le monde ne cesse de s'approfondir. Mais non ! Nous descendons d'abord en enfer et nous devons traverser cet enfer.
- L'éveil, ce n'est pas quelque chose qui peut se faire sans pratique, sans discipline. Plus la pratique est intense, et plus l'éveil est radical.
Au fil de Soi... - L'éveil ou l'illumination ne se transmet pas comme une connaissance ou un savoir faire. Chaque chercheur est amené à observer les stratégies de l'ego... il passe par les étapes décisives de la vie intérieure, jusqu'à se perdre, jusqu'à ne plus savoir faire, pour réaliser l'évidence d'Être.
Wolker A. Keers (1923-1985)
- En fait, un être illuminé n'a découvert que ce qu'il est, et c'est encore plus commun que la poussière au bord des routes.
- C'est seulement après avoir démasqué l'ego dans tous les coins, lorsque tout sentiment, toute idée de moi, de mien, a disparu, que la paix ininterrompue s'installe en nous.
H.W.L. Poonja (1913-1997)
- Quand vous aurez la connaissance que votre état actuel, ce monde que vous appelez réalité, est seulement un mythe, une fiction, pour vous, il se terminera, et ce sera comme s'il n'avait jamais existé. C'est la vérité ultime : rien n'existe.
  Après avoir réalisé le Soi, la vraie méditation peut commencer. Dans cet état, il n'y a rien à comprendre, ou à gagner, et ce qui ne peut être compris, le Soi, vous attire en lui et vous y focalise d'une façon inébranlable.
Ramana Maharshi   (1879-1950)
- Le Soi est toujours présent. Chacun veut connaître le Soi. De quelle aide a-t-on besoin pour se connaître soi-même ? Les gens veulent voir le Soi comme quelque chose de nouveau, Mais il est éternel et demeure continuellement identique. Ils ont envie de le voir sous la forme d'une lumière éclatante ou que sais-je ? Comment pourrait-il en être ainsi ? Il n'est ni lumière ni obscurité. Il est simplement tel qu'il est. Il ne peut pas être difini. La meilleure définition est : « Je suis ce que Je suis ».
Robert Adams   (1928-1997)
- Vous voyez, ce qui est superbe, c'est que vous êtes déjà éveillé. Vous êtes déjà réalisé. Mais vous refusez de le croire. Comment refusez-vous de le croire ? En croyant totalement à tout le reste. En ressentant le monde. En laissant tout ce qui vous arrive vous contrarier, vous ennuyer, en y réagissant. Cela cache votre réalité comme si vous étiez hypnotisé. Et vous croyez qu'il y a un monde commun avec les autres. Croire qu'il y a un monde à dépasser, des conditions à transcender, et que la victoire est entre vos mains.
  La vérité, c'est que vous n'avez rien à transcender, rien à dépasser. Le silence est votre réalité. Arrêtez de penser. Soyez silencieux. Tranquille. Autorisez le mental à devenir calme.
Siddharameshwar   (1888-1936)
- Comment peut-on réaliser le Suprême ? Plus vous essayez de l'atteindre plus il s'éloigne !
  Dès que vous essayez de connaître le Soi, l'ego apparaît. Vouloir connaître est un remède non seulement inefficace mais nocif ! Lui, le Soi resplendissant ne peut être réalisé qu'en ne faisant rien ! Il n'y a rien à faire pour le connaître. Cette connaissance se diffusera naturellement à travers le corps sans effort et spontanément. L'état naturel, c'est exister en ne faisant rien !
  La conscience ne peut pas atteindre le Suprême. L'intellect et le mental non plus.
  Celui qui "connaît" est l'illusion originelle. Cette illusion originelle nous a tous affectés en nous plongeant dans l'oubli de nous-même.
Sisargadatta Maharaj   (1897-1981)
- Vous êtes la connaissance et vous n'avez pas de forme, de contour, ou quoi que ce soit. Vous êtes impersonnel. Vous êtes complet. Vous êtes le non-manifesté, la Conscience Universelle.
- Vous n'êtes pas la personnalité ou l'individu. Ce corps est le corps nourriture dans lequel la Conscience apparaît. Le souffle vital fait tout le travail et la Conscience est le témoin de tout cela... Vous devez rester dans cet état d'Être ou de Conscience avec une foi solide, sans identification avec le corps ou la personnalité, avec un nom et une forme.
- Cette Conscience, qui est là depuis l'enfance, prédomine toujours jusqu'à ce que le souffle vital quitte le corps. Accomplissez toutes les activités du monde objectif, mais ne proclamez pas que vous êtes l'auteur de ce qui est fait. Quand vous commencez à réaliser que toutes les activités se déroulent à travers vous et que vous ne faites rien, alors graduellement tous vos désirs, comme l'attachement à votre mari ou votre femme, ou l'avidité pour l'argent, etc., vont diminuer... Alors il n'y aura plus de personnalité pour se créditer de quoi que ce soit.
Sisargadatta Maharaj   (1913-2000)
- La connaissance n'est qu'un concept. La réalité a été oubliée et la connaissance a surgi. C'est donc de l'ignorance, de l'oubli, que la connaissance a émergé. Alors comment pourrait-elle être vraie ? Si la source est amère, l'eau que vous buvez est amère également. Tout ce qui est, est la connaissance, rien d'autre, mais la connaissance elle-même n'est pas vraie.
- Quand la connaissance est là, tout est fait par elle, mais d'où vient cette connaissance ? Elle vient du zéro.
Se méfier de la spiritualité fiction
Eric Edelmann
- La motivation qui anime la quête d'éveil est un désir universel d'expansion et de réintégration de notre réalité propre. Nous sommes tous portés vers cette recherche pour revenir essentiellement à nous-même. Même ceux qui ne sont pas engagés dans une voie dite spirituelle cherchent l'illimité, l'absolu. On peut le chercher sur un mode artistique, au fond des océans, ou au sommet d'une montagne. Tous les modes d'expression sont possibles. Nous avons tous cette dynamique... L'aspiration à être pleinement heureux est naturelle.
- En Occident, dans le contexte particulier de psychismes perturbés et conflictuels, par jeu de compensation, la notion d'éveil apparaît comme une grande promesse, celle de l'illumination, qui serait une éradication de tous les problèmes et une élimination de toutes les difficultés personnelles. Une possibilité de sortir du cercle infernal de la souffrance... La recherche de l'éveil peut être totalement faussée et faire le jeu du mental.
- Le bouddhisme présent dix niveaux d'accomplissement de la réalisation, le dixième étant l'Éveil de Bouddha. Le plus intéressant pour des hommes ordinaires comme nous est le premier niveau correspondant à un état où l'on est libre du mental. La liberté par rapport au fonctionnement mental distordu n'est que le point de départ de la vie spirituelle. Mais pour nous, ce premier niveau est déjà un grand aboutissement qui demande un grand travail. Travaillons sur les revêtements, les voiles, les obstacles, redressons ce qui est tordu, et peut-être parviendrons-nous à cette liberté.
- Si l'on connaît une réussite matérielle évidente, on peut commencer à prétendre car on a la preuve de son accomplissement. Le risque est alors de suivre une démarche spirituelle selon la même ligne et le même mode de fonctionnement que ce qui fait la réussite dans le monde.
- On ne peut se mettre à marcher si l'on n'est pas déjà debout. On ne peut pas passer de l'anormal au supranormal ! Il faudra donc passer par le stade intermédiaire : la normalité... La normalité est déjà un stade très élevé, un niveau de maturité intérieure très grand. Être normal, c'est un passage obligé pour répondre à une aspiration plus grande.
- Le décorticage psychologique au sens analytique du terme, la thérapie... nous avons à intégrer totalement cette dimension de la psyché. Des expériences de conscience très profondes, trop vite catégorisées comme l'éveil, ne tenant pas compte de la réalité de la psyché, sont potentiellement très dangereuses.
- Le premier pas est celui de la purification du système. C'est la part qui nous revient. Un effort certain est nécessaire, accompagné d'une grande exigence d'honnêteté par rapport à soi-même, et d'une capacité de remise en cause permanente. Il s'agit de choses très concrètes, sur notre fonctionnement, nos réactions, nos émotions, comment nous fonctionnons dans le privé, etc. Et, comme le dite Arnaud Desjardins : « L'attention est la lime qui va permettre de scier une à un les barreaux de votre prison ». Attention, vigilance : l'attention aux détails, l'attention à soi-même. Somme toute, repérer ce qui ne va pas, quel est le porte-à-faux, où se trouve mon manque d'authenticité, est-ce que je vois le voile émotionnel qui colore la situation ? L'attention est le point d'appui qui nous permettra de progresser.
- On oublie souvent que notre énergie est drainée par toutes sortes de contradictions psychologiques, d'investissements inconscients. Or, la vigilance a besoin de beaucoup de carburant. Nous pouvons faire l'effort d'être attentif à nos attitudes corporelles, à notre façon de parler, à l'environnement, aux détails. Mais cette vigilance n'est possible qu'avec le carburant à notre disposition. Si la voiture a un réservoir percé, elle ne pourra parcourir une longue distance. La question n'est finalement pas tant d'économiser l'énergie, ce qui est faisable, mais de repérer où se trouve les fuites. Il faut boucher les trous ! La connaissance de soi permet de repérer les failles, les brèches par où l'énergie s'en va. C'est là où intervient l'aspect psychologique de la voie, accompagné d'un travail sur les énergies émotionnelles, l'inconscient. Les conflits intérieurs, les refoulements, mobilisent une quantité phénoménale d'énergie. S'il est possible de déboucher certains circuits, le regain d'énergie sera clairement ressenti puisque cette énergie ne sera plus utilisée dans le déni de soi, la répression, la division. La vigilance vaste et profonde est donc dépendante de la restauration de cette énergie qui se réinvestira dans des pratiques plus fines, qui aboutiront à des résultats concrets. Il faut avoir les moyens de sa politique.
- Quand on lève un obstacle, on en découvre un autre derrière ! Nous ne décidons pas du programme, de ce qui se présentera après le prochain virage.
- Le processus de transformation sera mis en route seulement si on a une visée d'un ordre élevé... C'est cette visée qui donne la ressource et l'élan pour se dépasser... Dans les arts martiaux, si l'on souhaite briser une planche avec le tranchant de la main, on ne regarde pas la planche mais au-delà. C'est ce point-là qu'il faut atteindre, et c'est cette force d'intention qui permet de traverser les forces de résistance. Sinon, c'est la main qui se brise... Tous les obstacles qui se présentent ne peuvent être dépassés qui si on les inscrit dans une force de propulsion qui est notre aspiration essentielle, pressentie instinctivement. On cherche à favoriser cette force de vie, d'expansion... Il n'est pas question de détruire l'ego, mais le mental, c'est-à-dire ces dysfonctionnements qui entravent la force d'épanouissement naturel qui nous est inhérente. C'est alors plus clair, plus simple.
- L'ego est cette force d'expansion qui nous habite tous, inhérente à soi-même, qui cherche à s'épanouir. Nous cherchons tous cet épanouissement, quels que soient les moyens utilisés, même inappropriés. Ce qui entrave cette force de vie est le mental, qui est un dysfonctionnement illusoire, mensonger, en complète opposition à la force d'expansion. C'est comme une chape de béton sur la vie. Mais la force de celle-ci est très puissante, et l'herbe peut parfois percer. Il faut alors l'aider, favoriser sa pousse. Le mental doit être détruit, En revanche, l'ego ne doit pas être détruit, et ne le peut pas. Il va alors vers l'expansion, une vastitude de plus en plus étendue, et telle qu'à un moment donné ce ne sera plus le sens restreint de l'individu, du moi ordinaire qui prévaudra. Le sage a pour ego l'univers entier. Les limitations ont explosées. C'est cette force d'expansion qu'il s'agit de favoriser. .... Un ego frustré, racorni, ne pourra atteindre des expériences de conscience plus vastes. On ne construit pas de la libération sur de la frustration. Mais cette expansion de l'ego ne signifie pas un égocentrisme croissant ! Un ego plus vaste devient inclusif, et le sens de la séparation va en s'amenuisant.
- Dans le Notre Père, où il est question de nous délivrer du mal, les exégètes sont aujourd'hui en accord, c'est « délivrez-nous de malin ». Le malin correspond exactement au manas en sanscrit, ou de mind en anglais, traduit par mental, en tant que distorsion psychologique.
- Il est très difficile d'émerger du monde de la dualité, de dépister l'illusion. C'est pourquoi une aide extérieure est nécessaire. Le mental ne peut pas se connaître lui-même, car il a une double fonction : celle d'obnubilation, c'est-à-dire cacher, et de projection, ce qui revient à mettre quelque chose à la place de ce qui est caché. C'est ce processus entier qu'il s'agit de déjouer car il s'oppose à l'élargissement naturel.
Ainsi qu'il est par lui-même (Zi Ran)
Jean-Marc Eyssalet
- L'ouverture globale et centrée à l'ensemble de ce qui advient et disparaît, opère une distance naturelle vis-à-vis du corps (le "double") qui demeure une chose parmi les choses, une série d'images sensorielles parmi les sensations.
- « Unifie ton sentiment intérieur, dit Confucius, n'écoute pas avec tes oreilles mais écoute avec ton coeur-esprit, n'écoute pas avec ton coeur mais écoute avec ton souffle-énergie ; car les oreilles se limitent à la conscience d'entendre, le coeur-esprit se borne à la reconnaître les concordances, alors que le souffle-énergie n'étant que vacuité ouverte, accueille toute chose. La voie n'est pas le ralliement des vides, et cette vacuité, c'est le jeûne du coeur. 
  Si tu as la capacité d'évoluer dans cette cage aux fauves (la cour du Duc Wei), ne te laisses pas impressionner par les titres et les nobles. Si te te sens écouté, vas-y exprime-toi, mais si tu ne te sens pas reçu, si tu sens de la réticence, arrête-toi. Ne présente ni ouverture excessive, ni défense exagérée, unifie ta demeure, prend appui sur ce que tu n'as pas encore obtenu et tu y seras presque...
  Le bonheur et la chance s'arrêtent chez qui sait s'arrêter.
  Ainsi quand vision et audition se soumettent en se retournant vers l'intérieur et qu'intelligence et savoir lâchent prise à l'extérieur, alors génies et esprits se réfèrent à nous, à plus forte raison les autres hommes.
  C'est ce qu'on nomme, opérer la métamorphose des dix mille êtres. »

- Le soleil au moment où il passe exprime la vie et la conscience instantanées, lumière, chaleur, mouvement, il agit au coeur de nous-mêmes ; seule la vacuité immédiate du coeur est apte à le reconnaître, dès que nous le désignons comme une chose, il est déjà ailleurs.
Le fil d'or de la Conscience
Bhagwandas
- La connaissance ne s'arrête pas à une particularité de l'ouverture de l'être dans une dimension supérieure. Elle est une recherche d'intégralité dans toutes les parties de l'être, y compris bien sûr la partie biologique, notre corps. C'est retrouver le fil de la conscience ; le fil brillant qui ouvre les portes de l'être à une conscience cosmique permet une révélation touchant tous les plans de l'être et divinise la matière biologique. La grande vision de Sri Aurobindo est que tout est unité, divin, conscience. Au coeur de la matière repose la divinité, la conscience cosmique. Le chemin est donc infini, et notre travail est de reprendre ce fil de la conscience, d'ouvrir les portes intérieures par la transparence et le lâcher prise. Toutes les dimensions de l'être doivent être consciemment colonisés, en commençant par un éveil de Soi, qui est le premier départ de ce travail.
- Toute vie est yoga, et notre quotidien est le champ du yoga intégral. Il n'y a pas de moment particulier où l'on se mettrait en méditation. Dans cette ouverture libre de lâcher prise, chaque moment de la vie relie au fil brillant de conscience. C'est reconquérir le royaume intérieur, qui n'est pas un point, mais une totalité. Cette reconquête repose sur la paix dans le vital, dans les pensées, le silence mental. Tout un ensemble de prise de conscience s'y relie : quand toute l'agitation intérieure se calme, le processus se met en place naturellement. Vider le récipient, c'est lui permettre de se remplir de la conscience divine.
- Il y a deux polarités fondamentales qui sont présentes partout : yin et yang, masculin et féminin, lumière et obscurité, et ici les forces ascendantes et descendantes. Cette dualité à la base de la manifestation repose dans une unité fondamentale puisque le divin intègre ces deux polarités. Il n'y a donc rien à rejeter, mais tout à intégrer. La polarité d'en bas, qui est l'inconscient, et la polarité supérieure, qui est l'esprit supraconscient, échangent entre elles constamment. Dans cette échelle, nous sommes l'être intermédiaire. Nous avons en nous-mêmes de la polarité obscure dans notre biologie et notre subconscient, et nous avons de la polarité supérieure par nos plans supérieurs de la conscience. Cette interrelation crée une force descendante et une force ascendante entre ces deux polarités. La magie de ce yoga est qu'il n'y a rien à rejeter, mais à identifier ces deux polarités, l'obscur et le lumineux, l'inconscient et le supraconscient et à les intégrer au niveau du chakra du coeur, qui est le chakra où peuvent s'unifier ces deux polarités. L'éveil du coeur est l'éveil d'une prise de conscience de transmutation des énergies inconscientes avec ce mouvement d'ascension. Par un acte d'amour, qui fait partie du travail d'ouverture du coeur, une alchimie se crée qui permet aux forces descendantes de l'esprit de transmuter ces forces. Il ne résulte une intégralité, c'est-à-dire une transmutation d'énergie, une transformation. C'était tout le travail de Mère au niveau cellulaire, biologique. Mère a pris dans son corps, qui est un laboratoire d'évolution, tout ce travail de transmutation entre les forces subconscientes terrestres et les forces supraconscientes. Ce travail s'opère toujours à travers une ascension des forces d'éveil, qu'on retraduit en termes plus émotionnels ou psychologiques, comme une aspiration à la partie supérieure de notre être, à la lumière, et une réponse de la partie supérieure qui se sent accueillie consciemment, et va automatiquement transmuter l'obscurité en lumière.
- Le processus d'éveil est acceptation de la réalité comme elle est, sans jugement et dans une offrande volontaire au sommet de notre conscience ou à la Conscience Divine. Cette acceptation appelle une force de transformation. Tout cela se retraduit par les mouvements du subconscient dans les plans de notre être, subconscient, vital, émotionnel, ou mental. Il y a une graduation infinie et sans séparation...
- En tant qu'être incarné, l'esprit s'est mis dans une matrice. Celle-ci a des limites, des structures. Tout ce qui est en dehors d'elle est inconnu, lequel se retraduit en termes émotionnels par la peur. Toutes les réactions qui empêchent l'ouverture et l'acceptation sont dues à la peur de l'inconnu. Chaque possibilité d'ouverture, d'élargissement de l'individu, est relié à une force contraire qui est celle de la matrice, de notre incarnation qui craint cet élargissement, qui est l'inconnu. Nous pouvons le voir en nous-mêmes. On retrouve l'antagonisme fondamental. Dans le processus d'éveil, nous pouvons participer en nous situant dans une conscience de non peur, c'est-à-dire savoir que l'inconnu est la divinité dans sa totalité, que tout va dans ce sens, y compris ce que l'on croit négatif.
- Le savoir est un processus mental d'addition d'information, qui se traduit en croyance quand le mental est en quelque sorte débordé. Mais, dans le processus du yoga, je parlerai de co-naissance. On intègre réellement le concept de cette unité fondamentale des choses, et on rentre dans ce processus de co-naissance. Nous renaissons avec chaque expérimentation. Chaque moment de la vie peut ainsi être relié dans son essence à une ouverture intérieure, une dimension du coeur sans peur. Ce n'est plus le savoir, mais l'identification avec la réalité de ce que l'on est, de ce qu'est le cosmos et le fait que le cosmos est en nous. Nous redécouvrons que chaque expérience est une nouvelle possibilité d'intégrer une nouvelle facette de la réalité. La connaissance devient alors réellement un processus d'identification. Il n'y a alors plus de séparation. Un moment d'éveil, de grâce, est un moment où l'on sort de ses limites. Dans l'instant, la peur se dissout et l'identité divine pénètre en nous... Reconnaître le témoin en nous-mêmes qui prend de plus en plus de réalité. Ce témoin neutre nous permet de voir que nous ne sommes pas cette identification automatique avec toutes les choses extérieures de la vie. Lorsque nous nous identifions consciemment à cette réalité du témoin, celle-ci se renforce... Dès que nous sommes en contact avec notre être, nous avons l'impression d'avoir toujours été, et d'être pour toujours. Ma vraie identité est au-delà du temps et de l'espace.
- Le silence mental est une des clefs... Sri Aurobindo explique que très vite l'on se rend compte que les pensées ne sont pas générées par nous-mêmes, mais qu'elles viennent de l'extérieur. Le mental est une antenne qui capte des énergies, interprétées au niveau mental comme des pensées, ou au niveau vital comme des émotions, mais tout ceci vient de l'extérieur et nous sommes simplement en résonance avec cela. Une fois vu cela, il devient possible de tourner ce récepteur, de couper le contact. On va alors réellement vers le silence. Devenir le témoin de ses pensées, établir la transparence, le vide mental et nous pourrons de plus en plus choisir consciemment le plan de l'énergie où s'établir, et ainsi ne plus subir l'agitation mentale. Bien sûr, tout cela est la version idéalisée des choses. La réalité est que le travail est énorme face à l'agitation que le monde crée pour nous extérioriser constamment. Mais il devient possible de vider le récipient et donc de laisser autre chose venir.
- Dans le processus de construction du témoin, il faut retourner le regard vers celui qui observe. Ceci est très délicat... Il faut une première expérience. Mais tout le monde a connu de telles expériences, que l'on n'interprète pas nécessairement en termes de dimension supérieure de conscience. Si on relie une telle expérience à un processus de conscience, elle devient le point de départ de tout le processus. Chaque moment de joie sans cause, de silence, de simplicité, se relie au même fil , qui se met à briller de plus en plus. On peut ainsi devenir de plus en plus actif dans la participation au processus et réceptif à ces nouvelles dimensions de l'être. La joie que nous donne une ouverture du coeur va nous conduire à nous ouvrir un peu plus. Notre centre intérieur s'éveille de plus en plus, devient de plus en plus actif. L'intégration s'opère naturellement, et la peur de l'inconnu s'efface. Le lâcher-prise s'approfondit sur tous les plans de notre être pour expérimenter le grand "champ cosmique" qui n'est qu'Amour. La texture de la réalité est Amour.
Témoins d'éveil
Douglas Harding (1909-2007)
  Le plus beau jour de ma vie, ma nouvelle naissance... j'avais 33 ans. Tombée soudainement du ciel, elle répondait néanmoins à une recherche obstinée pendant plusieurs mois... Cette découverte s'est produite lors d'une promenade dans les Himalayas... Il m'arriva une chose incroyablement simple, pas spectaculaire le moins du monde : je m'arrêtai de penser. Un état étrange, à la fois alerte et engourdi, m'envahit. La raison, l'imagination et tout bavardage mental prirent fin. Pour le première fois les mots me firent réellement défaut. Le passé et l'avenir s'évanouirent. J'oubliais qui j'étais, ce que j'étais, mon nom, ma nature humaine, animale, tout ce que je pouvais appeler mien. C'était comme si à cet instant je venais de naître, flambant neuf, sans pensée, pur de tous souvenirs. Seul existait le Maintenant, ce moment présent et ce qu'il me révélait en toute clarté. Voir, cela suffisait. Et voir quoi ? Deux jambes... des manches... et en haut... absolument rien, pas de tête. Ce vide, ce rien où aurait dû se trouver une tête, n'était pas une vacuité ordinaire, un simple néant. Au contraire, ce vide était très habité. C'était un vide énorme, rempli à profusion, un vide qui faisait place à tout - au gazon, aux arbres, aux lointaines collines ombragées et, bien au-delà d'elles, aux cimes enneigées... J'avais perdu une tête et gagné un monde... Sa présence totale était mon absence totale, de corps et d'esprit. Plus léger que l'air, plus translucide que le verre, entièrement détaché de moi-même, je n'étais nulle part à la ronde.
  Un éveil soudain qui m'arrachait au sommeil de la vie ordinaire, la fin d'un rêve, une réalité qui rayonnait de sa propre lumière, et pour la première fois lavée de la pensée qui obscurcit... un moment de clairvoyance dans l'histoire confuse de ma vie.. égaré par trop d'occupations ou de faux-fuyants. C'était une attention nue, sans jugement, à la réalité... Bref, tout cela était parfaitement simple, ordinaire et direct, au-delà du raisonnement, de la pensée, et des mots. En dehors de l'expérience elle-même ne surgissait aucune question, aucune référence, seulement la paix, la joie sereine, et la sensation d'avoir laissé tomber un insupportable fardeau.
P.D. Ouspensky (1878-1947)
  Je suivais un jour la Liteyny
(rue de Saint Petersburg, Russie)... en dépit de tous mes efforts, j'étais incapable de maintenir mon attention sur le rappel de moi-même. Le bruit, le mouvement, tout me distrayait. À chaque instant, je perdais le fil de mon attention, le retrouvais et le reperdais. Pour finir j'éprouvai envers moi une sorte d'irritation ridicule et je tournai dans une rue à gauche, fermement décidé, cette fois, à me rappeler moi-même au moins pour quelque temps, en tout cas jusqu'à ce que j'ai atteint la rue suivante... Je l'atteignis sans avoir cessé de me rappeler moi-même et je commençais déjà à éprouver l'étrange état émotionnel de paix intérieure et de confiance qui suit de grands efforts de cet ordre...
  Deux heures plus tard, je me réveillai fort loin. J'allais en traîneau chez l'imprimeur. La sensation du réveil était extraordinairement vive. Je peux presque dire que je revenais à moi. Je me souvins aussitôt de tout... Néanmoins, tandis que j'étais ainsi englouti dans le sommeil, j'avais continué à exécuter des actions cohérentes et opportunes.
  Je dis qu'un fait d'une importance prodigieuse a échappé à la psychologie occidentale, à savoir : que nous ne nous rappelons pas nous-mêmes, que nous vivons, agissons et raisonnons dans un profond sommeil qui n'a rien de métaphorique, mais qui est absolument réel ; et cependant que nous pouvons nous rappeler nous-même si nous faisons des efforts suffisants - que nous pouvons nous éveiller.
Râmana Maharshi (1879-1950)
  Lorsqu'il  réalisa le Soi, Maharshi avait 17 ans, n'avait suivi aucune discipline spirituelle et n'avait jamais rien étudié en matière de doctrine traditionnelle.
  Je me tenais seul dans la maison de mon oncle... une soudaine et violente peur de la mort me surpris. Rien dans mon état de santé ne justifiait cela... Je sentis simplement « je vais mourir » et me mis à penser ce qu'il fallait faire. Il ne me vient pas à l'esprit de consulter... je sentais qu'il me fallait résoudre le problème moi-même et sur le champ. Le choc produit par la peur de la mort conduisit mon esprit vers l'intérieur et je me dis à moi-même mentalement... « Maintenant la mort est venue ; que signifie-t-elle ? Qu'est-ce qui meurt ? C'est ce corps qui meurt. » Et aussitôt j'interprétais intimement la scène de la mort. Je m'étendis, les membres allongés, aussi raide que si la rigidité de la mort était survenue et j'imitai un cadavre... Je retins mon souffle et gardai les lèvres étroitement closes... « Eh bien ! Maintenant, mi dis-je, ce corps est mort. Tout rigide. Il va être porté au bûcher et là brûlé et réduit en cendres. Mais suis-je mort avec la mort de ce corps ? Le corps est-il "Je" ? Il est silencieux et inerte mais je sens toute la force de ma personnalité et même la voix du "Je" en moi, qui s'en distingue. Donc je suis Esprit transcendant le corps. Le corps meurt mais l'Esprit qui le transcende ne peut être atteint par la mort. Cela signifie que l'esprit ne meurt pas.  »... À partir de ce moment le "Je" ou "Soi" concentra son attention sur lui-même par une puissante fascination. La peur de la mort s'était évanouie une fois pour toutes. Dès lors l'absorption dans le Soi continua, sans interruption. D'autres pensées pouvaient aller et venir comme les différentes notes de musique, mais le "Je" continuait comme la note fondamentale shruti qui est sous-jacente et se mêle à toutes les autres notes. Que le corps s'adonnât à la parole, à la lecture, ou à quoi que ce soit, j'était toujours centré sur "Je".
Marcel Proust (1871-1922)
  Machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de cause. Il m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature...
 
Autres pensées ou extraits
- "Qui veut se libérer de quoi ? C'est le moi qui veut se libérer de la souffrance que lui inflige la conscience illusoirement individualisée." Dominique Casterman
- L'être humain... n'est pas spontanément éveillé à sa véritable nature qui est la non-séparation de ce que nous appelons "moi" avec le reste de l'univers.... il n'y a pas de séparation entre l'intérieur et l'extérieur, l'individuel et le collectif, le microscopique et le macroscopique, il n'y a qu'une seule réalité.
" Dominique Casterman