Textes
d'auteurs (2008) | |
"L'imagination
au pouvoir" ? 3e Millénaire, Été 2008, No 88 NB: De courts extraits d'articles de la revue, parfois légèrement adaptés. | |
Se
réveiller de l'état de veille Jean Bouchart d'Orval | - Chaque être
humain a la possibilité de recouvrer la pleine efficience de l'imagination
originelle. Mais pour cela il faut que cesse l'automutilation qui consiste à
se prendre pour une misérable image de soi-même, sinon ce que nous
appelons ici imagination n'est plus que rêveries fondées
sur les images de la mémoire. Cette sessation ne peut venir d'une volonté
personnelle, cette chimère. Que puis-je vouloir, qui ne soit pas le contenu
de ma mémoire ? Or, le contenu de ma mémoire n'est fait que d'images
et toutes les images sont bornées, trop petites. Se prendre pour l'homme
le plus brillant, le plus puissant, c'est trop peu... vouloir devenir quoi que
ce soit, c'est un profond manque d'imagination. Quand je vois clairement cet inutile gaspillage d'énergie, une accalmie se fait. Dans cette tranquillité, dans cette écoute, une chose peut surgir. Il n'y a plus à proprement parler d'efforts au sens où nous entendons généralement ce mot. On entre lucidement dans un puissant courant d'énergie.. C'est le chemin de la passion, de la stupéfaction, de la terreur aussi. Il s'adresse à celui qui est déjà pacifié et intériorisé. Mise en oeuvre du discernement, il consiste en un élan de l'imagination auquel est associée une conviction totale si intense que l'intellect s'y ancre. Cet élan sans effort, véritable détente dans tous les sens du terme, permet d'entrer en contact avec l'énergie indifférenciée. Tandis que les contours du moi fabriqué s'effondrent, l'absortion dans l'énergie devient totale. Le vide ainsi creusé laisse l'intuition profonde luire en toute liberté. Cette intuition peut dissoudre les noeuds mentaux formés de longue date et balayer toute les croyances liées aux réflexes égotiques. Alors que dans les réflexes égotiques on tente encore de saisir, ici on est saisi. - On évoque l'immensité spatiale et autres images puissantes aptes à supprimer les limites artificielles auxquelles l'homme ordinaire se croit lié. Les références habituelles qui rassurent l'ego des centaines de fois par jour s'estompent, elles éclatent même. Cette percée décisive est l'oeuvre de l'énergie effervescente et du contraste entre le limité et l'illimité. Elle change tout dans notre manière de vivre et de communiquer. - La communication devient vraiment possible au moment où je me rends compte que je ne communique pas vraiment, que je suis en rapport avec mes images des autres, et non avec les autres.. Il y a des images que j'aime et d'autres que je n'aime pas. Celles que j'aime ce sont celles qui rassurent le moi fabriqué.. Les autres, celles qui pourraient me réveiller, je ne veux pas les voir. On essaie toujours de réarranger son petit monde pour être confortable, pour que l'ego soit bien. Tout ce que je pense, ce que je dis, ce que je fais, c'est pour redevenir confortable en continuant d'être identifié à l'image de moi-même.. c'est cela qui régente toutes mes interactions. - On a toujours une impression d'inconfort qui nous suit parce qu'on se prend pour quelqu'un. La vie n'est que changements, la vie est pure dynamisme. Elle est comme une vibration. Je m'identifie à une image statique dans une vie qui n'est que changements, imaginez l'inconfort. On voudrait constamment réarranger le monde entier pour être confortable. C'est inutile et très fatigant. Peu importe dans quelle mesure vous y êtes arrivé aujourd'hui, demain c'est complètement à refaire... - Les diverses situations de la vie ne sont pas des problèmes à résoudre ! Repos ! Vous n'êtes pas là : ce que vous appelez « moi » est une image. En réalité, vous assistez à ce que vous appelez votre vie. Mais vous n'y assistez pas comme un témoin passif, vous êtes un regard agissant, comme le rêveur. Celui-ci témoigne de ce qui arrive, mais il n'est pas séparé de ce qui arrive et c'est là toute la différence. - Tant que je me prends pour un personnage, je ne peux pas faire semblant de ne pas avoir de direction ; je ne serais pas honnête avec moi-même. Mais à un moment donné, la direction s'en va. Je ne peux pas forcer cela, c'est comme un moment d'étonnement. Tant que je passe mon temps à me localiser, à me mettre en situation par rapport à ce qui est perçu, tant que je tiens à mon image individuelle, il y aura une direction à mon action, ou à ma réaction ; ma vie sera faite de calculs et de lamentations. - La plupart du temps, je me prends pour mon rôle.. mais ça n'est pas obligé. À un moment donné, il peut y avoir une prise de conscience et dans l'instant c'est sans but. Ceci n'empêche pas que l'instant d'après les buts réapparaissent, car nous portons des noeuds que se sont solidifiés pendant longtemps et ils ne se dénouent généralement pas instantanément. Mais une fois que l'on est saisi, on n'oublie plus jamais ce saisissement. J'ai touché à quelque chose, et je garderai la nostalgie de cela. Ce sera mon nouveau but dans la vie. Bien sûr, c'est encore un but, mais celui-là va effacer tous les autres. Puis il s'effacera lui aussi, sinon on garde un monstrueux ego spirituel. C'est la grâce qui fait cela, pas ma soi-disant volonté. - Je constate que ma vie n'est faite que d'intentions, de réactions. Je n'ai pas même envie d'enlever tout cela, de le tasser pour mettre autre chose à la place, qui ne pourrait venir que de ma mémoire. Non, je constate. C'est comme si soudain je réalisais que mon poing est fermé depuis des heures. Je n'ai plus besoin de vouloir relaxer, ça va lâcher tout seul... - Constater, c'est le regard. Il n'y a pas besoin d'intention pour regarder, pour être. Vous n'êtes que regard. Ce qui vous arrive est la forme que prend votre regard. Il n'y a rien d'intentionnel dans la vie. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a personne pour vouloir. C'est une méprise qu'il y a quelqu'un dans ma vie qui veut quelque chose. Nous sommes dans la vie pour un constat et non pour abolir quelque chose qui n'existe pas. C'est fatigant de passer toute une vie à tenter de résoudre un problème inexistant. - Si l'on pouvait voir tout ce que vous avez fait dans votre vie, lu, mangé, écouté.. si on pouvait suivre l'influx nerveux dans votre cerveau, bras, jambes.. nulle part on ne pourrait trouver quelqu'un qui décide cela. C'est un mouvement. Et que reste-t-il ? Ce que je suis, qui est là, intemporel, qui est la lumière du Coeur. On peut dire que seule la lumière du Coeur existe. On peut le voir. On peut le vivre, le partager, pour la joie. |
L'image
vivante au coeur de l'homme Joseph Michel | -
Tout se passe comme si nous vivions dans une toute petite partie de notre organisme
: c'est-à-dire la tête. - ..Rudolf Steiner nous dit que l'homme est limité par son intellect, mais que sa connaissance n'est pas limitée à l'intellect. Elle peut s'élargir de manière rigoureuse en développant ce qu'il appelle le pouvoir imaginatif ou la connaissance imaginative. ..cela revient à passer d'une connaissance dont le siège est dans le cerveau, à une connaissance où le lien s'opère entre la tête et le coeur... - Nous éprouvons alors cette fameuse expérience dans laquelle nous ressentons que quelque chose se passe en nous : ça pense en moi et ce penser est de même nature que l'activité universelle qui est autour de moi. - Cette perception imaginative se traduit en couleurs, en formes, en sons, en parfums, en toutes les sensations possibles, nous donne une authentique image. - Toute la civilisation moderne ressent une nostalgie extrême de cette activité imaginative. ..on se contente de succédané que sont les images artificielles des films, de la publicité, d'Internet, et de toutes les sensations obtenues en dehors de la réalité. C'est essentiellement le mal des jeunes de n'avoir que le poste de télévision, le MP3 ou l'ordinateur pour satisfaire leur faim, tandis qu'à l'école ils ne reçoivent qu'un enseignement basé sur l'exercice de la pensée intellectuelle ou du sport - l'activité médiatrice et rythmique, celle qui est justement importante pour la vie imaginative, demeure la moins bien soignée. Il faut que les images réelles prennent la place des images fausses, sinon c'est le vide du milieu qui s'installe et c'est la mort dans l'homme. -Où est passé le jeune enfant que nous avons été, le jeune adulte avec tous ses espoirs au moment où il commençait à entrer dans le monde ? Que représente la maturité et la vieillesse ? Si nous n'élaborons pas des images concrètes de tout cela, si nous n'entreprenons pas un travail que j'appelle "travail biographique", nous passons à côté de quelque chose d'essentiel parce que chaque âge possède sa dignité ou sa valeur. Les expériences que nous faisons à 40 ans ou à 60 ans sont très différentes les unes des autres mais complémentaires. Si, arrivés à la fin de notre vie, nous avons oublié ce que nous étions étant plus jeunes, nous avons raté notre vie, il y a quelque chose que nous n'avons pas continué de former. Comme si nous avions retourné un champ pour y déposer quelques graines sans par la suite en prendre soin. O, tous les jours, nous déposons des graines dans cette terre que nous retournons par notre activité ; mous nous ne prenons pas le soin de regarder ce qu'elles deviennent. - ..ce qui a été planté à l'époque vient éclairer ce que je vis actuellement, pour me donner de nouveaus points de vue et de nouvelles forces de vie. En fait, il faudrait avoir cette énergie et cette conscience pour suivre pas à pas les graines qui sont plantées chaque jour. - Par exemple, un bon exercice est de visualiser, chaque soir avant s'endormir, la journée, non pas comme un film, mais comme un paysage. Ainsi, en deux minutes, avec les événements les plus récents devant soi, en arrière-plan ceux de la demie-journée et à l'horizon ceux du matin. ..c'est seulement en regardant de nouveau dans son contexte que j'observe des choses presque inobservées : des détails parlants. C'est un moyen pour découvrir les trésors de la journée, et nous nous apercevons que nous passons constamment à côté du merveilleux qui ne demande qu'à être regardé. Ainsi, une simple plante que l'on voit tous les jours recèle un profond mystère, un enseignement mystérieux, initiatique. En fait, par une parole ou un geste, une personne, sans en avoir conscience, peut nous révéler un mystère initiatique quand nous le replaçons dans ce paysage global de la journée. C'est à partir d'un tel travail que nous nourrissons la partie médiane de l'être, de la même manière que nous nourrissons l'enfant avec des contes et des images vraies. Cette activité imaginative crée des liens entre des éléments que semblent totalement hétérogènes, tout en ayant une certaine affinité ou complémentarité. |
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