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Rêves Rosie
Elle est revenue hanter mes rêves par une
nuit d'été, une nuit chaude et très orageuse. Cette nuit
là, le tonnerre grondait bruyamment et les éclairs pourfendaient
constamment le ciel, des éclairs tellement lumineux que je pouvais les
voir même les yeux fermés. Une énergie incommensurable avait
envahie tout l'atmosphère et un vent violent balayait la rivière
et les montagnes. Je me sentais petit face à cette grandiose démonstration
d'énergie, mais aussi partie prenante de celle-ci. Je m'étais
couché tôt ce soir là, emportée par un sommeil bien
plus fort que mon désir de veiller. Je fus rapidement transporté
dans le monde du rêve, un monde parfois étrange où des bizarreries
loufoques viennent se mélanger à de vraies parcelles de réalité.
Je me revoyais vivre, étant jeune, dans un monde que je reconnaissais trop
bien sous certains aspects mais qui en même temps pouvait me sembler loin
de ma réalité sous d'autres aspects. J'avais 13-14 ans, peut
être moins, quelle importance pour l'amour qui n'a pas d'âge et pour
qui la frontière du temps importe si peu, constatant que même 40
ans plus tard, mon coeur se troublait tout autant à l'évocation
de son image que si ce fut hier.
C'était un amour de jeunesse, un amour qui s'était cristallisé
dans mon coeur pour l'éternité, comme un diamant sous
un écrin de verre.
Je demeurais tout près
du bureau de poste, elle venait y cueillir le courrier presque tous les midi.
Je la surveillais sur la galerie pour la voir, mon coeur se mettant à battre
dès qu'elle s'approchait. Je la voyais aussi à l'église,
aux vêpres ou autres cérémonies religieuses où elle
venait travailler bénévolement, tout comme moi. Il arrivait que
nos regards se croisent furtivement, elle devait bien sentir tout l'intérêt
que je lui portais et jusqu'à quel point mon coeur ne battait que pour
elle. J'étais amoureux et elle était si belle que je ne pourrais
décrire la beauté de cette forme temporelle. Elle n'allait pas
à la même école que moi, mais ce jour là, j'avais un
labo dans son école sise à quelques coins de rues de la mienne.
M'approchant, je la vis sur le palier avec des amies. Mon pouls s'accéléra
aussitôt, mais j'étais bien déterminé à faire
comme si de rien n'était, à jouer l'indifférence alors qu'en
fait je bouillais du désir amoureux, tout en étant paralysé
par la timidité et la peur. J'avais honte de ce sentiment amoureux qui
me ballottait au gré du vent, m'enlevant tous mes moyens et me rendant
stupide. M'apprêtant à passer près d'elle, je baissai les
yeux, n'ayant pas la force d'affronter son regard. Mais elle me surprit en
faisant un premier pas vers moi et, plaçant sa main sur mon torse, elle
m'arrêta et m'entraîna dans la cafétéria sous je ne
sais quel prétexte. Les mots qui furent alors échangés sont
sans importance par rapport à l'intensité de la situation qui nous
emporta, nous étions alors bien loin de la rhétorique. Elle s'arrêta
subitement et se plaça face à moi, nous nous sommes regardés
intensément dans les yeux, comme pour la première fois, et notre
amour explosa comme deux pôles d'énergies contraires qui se touchent
et fusionnent en un éclair étincelant. Tous les regards des élèves
avoisinants se sont alors tournés vers nous, comme attirés par le
caractère féerique de la situation. Tout à coup, elle déposa
ses lèvres sur les miennes, le plancher se déroba sous nos pieds
et le silence se fit dans cette salle pourtant bruyante et bondée. Nous
étions dorénavant seuls au monde. Je rêvais mais j'ai
senti l'humidité de ses lèvres, leur chaleur et leur consistance
encore plus fort et plus vrai que dans la réalité vraie. J'ai vibré
de tout mon être, emporté dans un tourbillon balayant tout sur son
passage. Les sentiments qui m'envahirent sont indescriptibles; la joie pure, l'exaltation
et l'ouverture étant à leur comble. Un instant d'éternité.
Réveillé par un terrible coup de tonnerre, j'ai bien tenté
de me rendormir, désirant de tout coeur poursuivre mon rêve indéfiniment.
Mais bien que toujours porté par ce rêve, je sentais toutefois qu'il
ne pourrait se poursuivre; il laisserait par ailleurs une trace inextinguible
en mon coeur. Ce rêve était venu accomplir ce qui n'avais pas été
accompli et fermer ce qui était resté ouvert pendant toutes ces
décennies. Cherchant dans le tréfonds de ma mémoire,
je voulais maintenant placer un prénom sur ce rêve, comme pour m'en
rapprocher davantage. Mais le temps semblait avoir tout effacé.
Subitement, en un éclair, son prénom m'est revenu. Rosie
! Et le tonnerre gronda à nouveau pour le confirmer.
Si un jour je la rencontrais dans
la vraie vie, tout pourrait basculer à nouveau comme sur le palier de cette
école, mon coeur s'emballant et se laissant emporter par la tornade.
La réalité aussi belle qu'un rêve et le rêve plus
vrai que la réalité, rêve et réalité se confondant
dans le tonnerre et les éclairs sillonnant rivières et montagnes.
Dans quelques heures à peine, la tempête se serait
calmé, la vie reprendrait son cours et la raison reprendrait la pôle.
Gaétan T.
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